Il faut beaucoup d’indisciplinĂ©s pour faire un peuple libre. » Georges Bernanos. PubliĂ© le 20 fĂ©vrier 2022 par brianajane 6 Commentaires. L’homme se croit Libre alors que, de tout temps, il est le seul prisonnier de ses vices, de ses soumissions Ă  ses bourreaux qui le mĂšnent, jour aprĂšs jour sur le sentier de ses propres perditions le menant au Mensonge GEORGESBERNANOS. Une parole libre de Claire Daudin - Collection tĂ©moins d'humanitĂ© - Livraison gratuite Ă  0,01€ dĂšs 35€ d'achat - Librairie Decitre votre prochain livre est lĂ  Exalterla nature spirituelle de l'homme par Mathieu Larnaudie. A 14h : ConfĂ©rence "Autour du dialogue des CarmĂ©lites par Sylvie Germain A 14h45 : ConfĂ©rence "Bernanons face Ă  ses dĂ©mons, Monsieur Ouine par Jean-marie Chevrier A 15h30 : Table ronde "La question de la grĂące, une attitude pascalienne" A 16h30 : ConfĂ©rence "Nouvelle Histoire de Mouchette par Maylis de Vay Tiền Nhanh. Bateaux au jardin du Luxembourg. "In a higher world it is otherwise, but here below to live is to change, and to be perfect is to have changed often" Dans un monde supĂ©rieur, il en est autrement, mais ici-bas vivre, c’est changer ; ĂȘtre saint, c’est avoir beaucoup changĂ© », John Henry NEWMAN, An Essay on the Development of Christian Doctrine 1845, I, 1, 7 Ă©d. Green and Co, Longmans, Londres, 1878, p. 40. Vous ĂȘtes royaliste, disciple de Drumont – que mimporte ? Vous m’ĂȘtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d’Aragon – ces camarades que, pourtant, j’aimais », Ă©crivit Simone Weil Ă  Bernanos aprĂšs avoir lu Les Grands cimetiĂšres sous la lune Correspondance inĂ©dite CI t. II, p. 203-204. Elle exprimait ainsi l’un des paradoxes de Bernanos. ProfondĂ©ment catholique, il n’hĂ©site pas Ă  dĂ©noncer violemment les choix de l’église d’Espagne et l’ignoble Ă©vĂȘque de Majorque » CI, t. II, p. 170 qui bĂ©nit le massacre des rĂ©publicains en 1937, l’église italienne qui approuve Mussolini pour conserver ses privilĂšges et l’ordre », le clergĂ© français timide durant la guerre. Admirateur de Drumont, il condamne l’antisĂ©mitisme en 1939, membre de l’Action française aprĂšs avoir Ă©tĂ© Camelot du Roi, il la quitte non sans souffrance lorsque Rome la condamne, acceptant mĂȘme de se brouiller dĂ©finitivement avec Maurras, et se rallie Ă  l’appel du 18 juin quand la plupart de ses anciens compagnons prennent le parti du marĂ©chal PĂ©tain. Royaliste, il titrait un article en novembre 1944 Je crois Ă  la RĂ©volution », poursuivant On me reproche parfois de trop parler de rĂ©volution. Mais ce n’est pas d’en parler qu’on me blĂąme ; on ne me pardonne pas d’y croire. Et j’y crois parce que je la vois. Je la vois partout dans le monde, mais je la vois plus clairement dans mon propre pays, parce qu’il y a commencĂ© plus tĂŽt, et c’est le gĂ©nĂ©ral de Gaulle qui l’a faite » Écrits et Ɠuvres de combat EEC, p. 939. Son second roman, L’imposture fut saluĂ© par Malraux comme par Antonin Artaud qui lui Ă©crivit alors Votre “mort du curĂ© Chevance” m’a donnĂ© une des Ă©motions les plus tristes et les plus dĂ©sespĂ©rĂ©es de ma vie. 
 Rarement chose ou homme m’a fait sentir la domination du malheur, rarement j’ai vu l’impasse d’une destinĂ©e farcie de fiel et de larmes, coincĂ©e de douleurs inutiles et noires comme dans ces pages dont le pouvoir hallucinatoire n’est rien Ă  cĂŽtĂ© de ce suintement de dĂ©sespoir qu’elles dĂ©gagent » et reconnaĂźt en lui un frĂšre en dĂ©solante luciditĂ© » cf. Georges Bernanos Ă  la merci des passants, Jean-Loup Bernanos, p. 194-195. Il est en revanche traitĂ© plus bas que terre par nombre de chrĂ©tiens » qui le vouent sans hĂ©siter aux gĂ©monies lorsque ses Ɠuvres ne correspondent pas Ă  l’idĂ©e que l’on se fait habituellement de la production d’un Ă©crivain catholique. Sur le plan littĂ©raire, peut-on parler d’une fidĂ©litĂ© de l’écrivain ? Romancier, il se transforme en pamphlĂ©taire Ă  partir de 1936, renonçant Ă  la joie de laisser se lever les personnages que son imagination faisait surgir. Et que dire des innombrables dĂ©mĂ©nagements de la famille Bernanos, non seulement en France mais Ă  Majorque, au Paraguay, Ă©tape pour le BrĂ©sil, puis en Tunisie, parce que la France de l’aprĂšs-guerre lui est insupportable ? Quelle fidĂ©litĂ© unifiait donc cet homme, dont les choix apparemment contradictoires laissĂšrent souvent perplexes ceux qui ne le connaissaient que par la rumeur, quand Jean de FabrĂšgues, au contraire, pouvait Ă©crire Non, Bernanos n’avait pas changĂ© il Ă©tait restĂ© fidĂšle Ă  lui-mĂȘme, Ă  tout lui-mĂȘme, Ă  ce que les partis, la droite et la gauche, se partageaient, se disputaient
 C’était lui, en vĂ©ritĂ©, qui restait le mĂȘme, qui restait fidĂšle tel au dernier jour que nous l’avions connu au premier, tel en ces derniers mois qu’à l’époque du Soleil de Satan, ou, plus loin encore, de l’Avant-Garde de Rouen, fidĂšle Ă  son “rĂȘve”, Ă  son Ăąme » Bernanos tel qu’il Ă©tait, Mame, 1963 ? Sans doute une des clefs de lecture se situe-t-elle dans l’idĂ©e que Bernanos se faisait de son mĂ©tier d’écrivain. Le mĂ©tier littĂ©raire ne me tente pas », Ă©crit-il dĂ©jĂ  en 1919, il m’est imposĂ©. C’est le seul moyen qui m’est donnĂ© de m’exprimer, c’est-Ă -dire de vivre. Pour tous une Ă©mancipation, une dĂ©livrance de l’homme intĂ©rieur, mais ici quelque chose de plus la condition de ma vie morale. Nul n’est moins art pour art, nul n’est moins amateur que moi. C’est pourquoi le mal est sans remĂšde. En enterrant ma vocation, on m’enterre avec elle, et les idĂ©es dont je vis » CI, t. I, p. 167. Bien avant que le Soleil de Satan ne rĂ©vĂšle le romancier, il vit son mĂ©tier comme une vocation – vocatus », et cette perspective domine toute sa vie. Il prĂ©cise en 1943 Le bon Dieu doit m’appeler chaque fois qu’il a besoin de moi et beaucoup de fois, et sur un ton comminatoire ! Alors je me lĂšve en rechignant et sitĂŽt la besogne faite, je retourne Ă  ma vie trĂšs ordinaire » CI, t. II, p. 503. C’est pour ĂȘtre fidĂšle Ă  cette vocation, Ă  cet appel que Bernanos quitte le mĂ©tier d’assureur aprĂšs le succĂšs du Soleil de Satan, qu’il abandonne le roman pour les Ɠuvres de combat, Ă©crivant le 14 mars 1937 Il est vraiment providentiel que je sois venu ici, Ă  Majorque. J’ai compris. Je tĂącherai de faire comprendre » et ce sera le brasier des Grands CimetiĂšres sous la lune, qu’il s’exile volontairement en 1938, lorsque l’air » devient si rarĂ©fiĂ© » en Europe qu’il ne porte pas une parole libre » CI, t. II, p. 598 sq., lui faisant dire Je ne veux pas risquer de me damner ». Bernanos prend tous les moyens pour ĂȘtre fidĂšle Ă  cette vocation dont il affirmait qu’elle Ă©tait plus exigeante pour lui que les vƓux d’un religieux. Risquer la critique n’est alors que le moindre des risques Qu’est-ce que je risque ? Mon prestige ? Il est Ă  votre disposition, s’il m’en reste. J’ai eu du prestige, comme tout le monde 
. Depuis la publication des Grands CimetiĂšres, par exemple, celui que je tenais de la Critique s’est dissipĂ© en fumĂ©e, la Critique fait autour de moi un silence que je voudrais croire auguste » Les Enfants humiliĂ©s, EEC, t. I, p. 874. La pauvretĂ© dans laquelle Bernanos a toujours vĂ©cue est Ă  ses yeux la stricte consĂ©quence de cette fidĂ©litĂ©. Bernanos est toujours Ă  la recherche du pain de chaque jour pour les siens. DĂ©vorĂ© par la mission Ă  remplir, il refusera toujours de faire carriĂšre. Les critiques lui prĂ©disent le succĂšs, les honneurs Bernanos n’en veut pas. Par trois fois il refusera la LĂ©gion d’honneur, en 1927, 1928, 1946 ; il refuse d’entrer Ă  l’AcadĂ©mie française, dĂ©cline les postes de ministre que lui propose de Gaulle Ă  la LibĂ©ration. Ses livres se vendront toujours bien ; en administrant prudemment ses biens, il aurait pu mettre les siens Ă  l’abri du besoin et des imprĂ©vus. Mais l’argent file entre ses doigts. Il se consacre Ă  l’écriture comme n’importe quel travailleur Ă  son mĂ©tier quotidien La maison Plon, avec une sollicitude carnassiĂšre, me rĂ©tribue page par page. Pas de page, pas de pain. 
 [Q]uand le soir vient, j’ose Ă  peine me moucher, de peur de trouver ma cervelle dans mon mouchoir » CI, t. II, p. 50, Ă©crivant tout le jour dans des cafĂ©s pour ne pas oublier la rĂ©alitĂ© des visages humains et ne pas se laisser emporter par le rĂȘve cf. Les Grands CimetiĂšres sous la lune, EEC, t. I, p. 354, au moins tant qu’il est en Europe. La solitude de ses annĂ©es brĂ©siliennes n’en sera que plus grande. La plupart de ses dĂ©mĂ©nagements, sinon tous, dĂ©riveront de cette pauvretĂ©, Bernanos espĂ©rant chaque fois pouvoir faire vivre sa famille sinon mieux, du moins de maniĂšre dĂ©cente. Car il lui faut bien souvent supplier Plon, son Ă©diteur, de lui envoyer quelque subside Je ne peux plus vivre sur des avances, et ne possĂ©dant pas un seul “pĂ©tard” comme disait RenĂ© de Chateaubriand il faut tout de mĂȘme que je sache si je puis vivre au jour le jour de mon mĂ©tier, mĂȘme si je devais m’aider de collaborations rĂ©guliĂšres Ă  des journaux. Si la maison Plon ne peut ou ne veut rien dans ce sens, qu’elle me laisse un dĂ©lai raisonnable pour le remboursement 
 et qu’elle me permette de m’adresser ailleurs » CI, t. I, p. 535. Jusqu’à sa mort il connaĂźtra le combat du pĂšre de famille en quĂȘte de la subsistance de sept personnes ou plus. Combat torturant, car sa vocation de pĂšre n’est jamais opposĂ©e Ă  celle d’écrivain elles sont deux aspects de sa vocation de chrĂ©tien. Il n’est pas l’homme de lettres » qui s’isole pour faire son Ɠuvre ; il connaĂźt, au contraire, la difficultĂ© des dĂ©parts, les maisons inconfortables, les meubles cassĂ©s, la perte des manuscrits et des objets auxquels on s’attache, les angoisses nĂ©es des maladies, des accidents. Il n’a rien d’un exaltĂ© qui entraĂźne sa famille dans de folles Ă©quipĂ©es, Ă  la poursuite d’un rĂȘve personnel. De LĂ©on Bloy, il Ă©crira ceci, qui semble le dĂ©crire personnellement Comme son brave homme de pĂšre, il Ă©tait certainement nĂ© pour une carriĂšre tranquille ... couronnĂ©e par la retraite. ... Mais LĂ©on Bloy Ă©tait appelĂ© – vocatus – et il a retirĂ© ses pantoufles, il est parti pour une vie de crĂšve-la-faim, presque sans s’en apercevoir » Dans l’amitiĂ© de LĂ©on Bloy, 1946. Le bon Dieu ne m’a pas mis une plume dans les mains pour rigoler avec » CI, t. II, p. 47. C’est par rapport Ă  Dieu qu’il se situe lorsqu’il entreprend une Ɠuvre Si je me sentais du goĂ»t pour la besogne que j’entreprends aujourd’hui, le courage me manquerait probablement de la poursuivre, parce que je n’y croirais pas » Les Grands CimetiĂšres, EEC, t. I, p. 353, comme lorsqu’il est affrontĂ© au dĂ©mon de [s]on cƓur » le À quoi bon ? » qui lui ferait abandonner la lutte, aussi bien dans la vie que dans l’écriture. Car le premier devoir d’un Ă©crivain est d’écrire ce qu’il pense, coĂ»te que coĂ»te. Ceux qui prĂ©fĂšrent mentir n’ont qu’à choisir un autre mĂ©tier – celui de politicien, par exemple. Écrire ce qu’on pense ne signifie nullement Ă©crire sans rĂ©flexion ni scrupule tout ce qui vous passe par la tĂȘte. 
 La vĂ©ritĂ© m’a prise au piĂšge, voilĂ  tout. En Ă©crivant un livre comme Les Grands CimetiĂšres sous la lune, je me suis trop engagĂ© dans la vĂ©ritĂ©. Je n’en pourrais sortir dĂ©sormais, mĂȘme si je le voulais » Le Chemin de la Croix-des-Âmes, EEC, t. II, p. 675. L’Ɠuvre de Bernanos est donc avant tout une quĂȘte de la vĂ©ritĂ©. Il lui voue sa vie et essaie de trouver, par un approfondissement constant de la rĂ©flexion, une simplification de l’ĂȘtre et de l’écriture. Pour moi le meilleur moyen d’atteindre la vĂ©ritĂ©, c’est d’aller au bout du vrai quels qu’en soient les risques », Ă©crit-il dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes. Il lui fallut parfois un beau courage que l’on pense, outre aux injures et insultes qu’il essuya souvent, Ă  ce qu’il fallait de conscience et de dĂ©termination pour tĂ©moigner non aprĂšs mais durant la guerre d’Espagne, alors qu’il Ă©tait aux premiĂšres loges, Ă  Palma de Majorque. Il fut au reste victime de deux tentatives d’attentat qui Ă©chouĂšrent, heureusement, mais Ă©crivit Ă  une de ses niĂšces Il paraĂźt que cette canaille de Franco a mis ma tĂȘte Ă  prix, et dĂ©lĂ©guĂ© ses meilleurs exĂ©cuteurs. Donc, si tu apprends que je me suis tuĂ© en jouant avec une arme Ă  feu, Ă©tant un peu saoul, ne le crois pas, et dĂ©fends ma mĂ©moire ! CI, t. III, p. 311. En 1940 il Ă©crit Les milieux catholiques m’ont donnĂ© ce qu’ils peuvent donner Ă  qui ne les flatte pas – rien. Ils n’ont Ă©videmment rien Ă  dire Ă  un Ă©crivain qui, aprĂšs le Soleil comme aprĂšs le Journal d’un curĂ© de campagne, a sacrifiĂ© deux fois les profits matĂ©riels d’un trĂšs grand succĂšs Ă  ce qu’il croyait son devoir, perdu deux fois, volontairement, un immense public dont, avec quelques concessions, il pouvait tirer honneur et fortune CI, t. II, p. 294-295. L’Ɠuvre romanesque et l’Ɠuvre de combat relĂšvent en fait d’une mĂȘme pensĂ©e il s’agit pour Bernanos de dire chaque fois tout ce que je pense, avec toute la force dont je suis capable » Le Chemin de la Croix-des-Âmes, EEC, t. II, p. 661. Le Soleil de Satan naĂźt de la guerre » Le crĂ©puscule des vieux, p. 65, de l’aveu mĂȘme de Bernanos La guerre m’a laissĂ© ahuri, comme tout le monde, de l’immense disproportion entre l’énormitĂ© du sacrifice et la misĂšre de l’idĂ©ologie proposĂ©e par la presse et les gouvernements
 Et puis encore, notre espĂ©rance Ă©tait malade, ainsi qu’un organe surmenĂ©. La religion du ProgrĂšs, pour laquelle on nous avait poliment priĂ©s de mourir, est en effet une gigantesque escroquerie Ă  l’espĂ©rance. 
 Eh bien ! j’ai cette fois encore fait comme tout le monde. J’ai dĂ©mobilisĂ© mon cƓur et mon cerveau. J’ai cherchĂ© Ă  comprendre » Ibid., p. 28. Je savais que ce n’étaient pas les grandes choses, c’étaient les mots qui mentaient. La leçon de la guerre allait se perdre dans une immense gaudriole. 
 Qu’aurais-je jetĂ© en travers de cette joie obscĂšne, sinon un saint ? À quoi contraindre les mots rebelles, sinon Ă  dĂ©finir, par pĂ©nitence, la plus haute rĂ©alitĂ© que puisse connaĂźtre l’homme aidĂ© de la grĂące, la SaintetĂ© ? » Ibid., p. 68. Toute l’Ɠuvre Ă  venir se trouve dĂ©jĂ  dans les principes qui prĂ©sident Ă  la crĂ©ation de ce roman la saintetĂ© et l’ordre surnaturel du monde, le poids de vĂ©ritĂ© qu’il s’agit de rendre aux mots, la lutte contre les idĂ©ologies – en particulier contre l’imposture du ProgrĂšs –, la figure centrale de l’enfance bafouĂ©e Mouchette et ignorante d’elle-mĂȘme etc. Les modalitĂ©s n’en sont ensuite que secondaires, dans la mesure oĂč elles sont subordonnĂ©es Ă  une certaine idĂ©e de la condition de l’homme » indissoluble pour lui d’une vision catholique du rĂ©el », selon le titre d’une confĂ©rence faite en 1927 Ă  Bruxelles cf. Le crĂ©puscule des vieux. Il y a 
 longtemps, affirme-t-il en 1943, que je crois qu’un vĂ©ritable Ă©crivain n’est que l’intendant et le dispensateur de biens qui ne lui appartiennent pas, qu’il reçoit de certaines consciences pour les transmettre Ă  d’autres, et s’il manque Ă  ce devoir, il est moins qu’un chien. – Ceci, selon moi, n’est qu’un aspect de cette coopĂ©ration universelle des Ăąmes que la thĂ©ologie catholique appelle la Communion des saints. Que ce nom de saints, ne vous fasse pas peur, si vous n’ĂȘtes pas chrĂ©tien !... Il est pris ici dans son sens Ă©vangĂ©lique. C’est le pseudonyme de bonne volontĂ©. – » CI, t. II, p. 510-511. Bernanos reconnaĂźt bien volontiers qu’il a reçu beaucoup de son enfance, Ă  laquelle il est toujours redevable Quant Ă  mes livres, ce qu’ils ont de bon vient de trĂšs loin, de ma jeunesse, de mon enfance, des sources profondes de mon enfance » CI, t. II, p. 502. Ne disait-il pas dĂ©jĂ  dans Les Grands CimetiĂšres sous la lune Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidĂšle Ă  l’enfant que je fus. Oui, ce que j’ai d’honneur et ce peu de courage, je le tiens de l’ĂȘtre aujourd’hui pour moi mystĂ©rieux qui trottait sous la pluie de septembre, Ă  travers les pĂąturages ruisselants d’eau 
 de l’enfant que je fus et qui est Ă  prĂ©sent pour moi comme un aĂŻeul. EEC, t. I, p. 404. Les hĂ©ros bernanosiens se prĂ©sentent tous le curĂ© de Lumbres doit acquĂ©rir durement cette qualitĂ© comme des enfants. Jeunes pour la plupart, ils en ont gardĂ© la fraĂźcheur peut-ĂȘtre, l’innocence, la capacitĂ© de s’émerveiller et de faire confiance, parfois accompagnĂ©e d’une certaine maladresse devant les puissants, ceux qui rĂ©ussissent dans la vie. N’est-ce pas au reste ce que leur entourage reproche Ă  Chantal dans La Joie, au curĂ© d’Ambricourt dans Le CurĂ© de campagne, Ă  Constance dans les Dialogues des CarmĂ©lites ? La gaietĂ© des saints qui nous rassure par une espĂšce de bonhomie familiĂšre n’est sĂ»rement pas moins profonde que leur tristesse, mais nous la croyons volontiers naĂŻve, parce qu’elle ne laisse paraĂźtre aucune recherche, aucun effort, ni ce douloureux retour sur soi-mĂȘme qui fait grincer l’ironie de MoliĂšre au point prĂ©cis oĂč l’observation des ridicules d’autrui s’articule Ă  l’expĂ©rience intime », lit-on dans La Joie OR, p. 599. Chantal ne se prĂ©occupe pas de sa vie, qu’elle voit toute petite », alors que son entourage se demande ce qu’elle fera demain. Mais c’est qu’il n’y a pas de demain pour elle l’important est Ă  ses yeux de faire parfaitement les choses faciles » OR, p. 558, de se donner Ă  chaque instant sans rĂ©serve Beaucoup d’ĂȘtre se sacrifient, qui n’auraient pas le courage de se donner » OR, p. 586. Il serait faux en effet de penser que Bernanos, tel les romantiques, regrette le temps de l’enfance. Elle est pour lui devant et non derriĂšre Si je marche Ă  ma fin, comme tout le monde », Ă©crit-il, c’est le visage tournĂ© vers ce qui commence, qui n’arrĂȘte pas de commencer, qui commence et ne se recommence jamais, ĂŽ victoire ! » Les Enfants humiliĂ©s, EEC, t. I, p. 107. L’abbĂ© Chevance, dans L’imposture, est tout aussi enfant que sa fille spirituelle, Chantal, malgrĂ© son grand Ăąge. Bernanos n’écrit-il pas Dans l’état prĂ©sent du monde, devenir un vieillard est presque aussi difficile que de devenir un Saint. Vous croyez qu’on entre dans la vieillesse par anciennetĂ©, imbĂ©ciles ! Vous n’ĂȘtes pas des vieillards, vous ĂȘtes des vieux, des retraitĂ©s » Français si vous saviez
, EEC, t. II, p. 201-202 ? La vĂ©ritable vieillesse est un accueil du jour fidĂšle Ă  l’enfance. Lui-mĂȘme avoue ailleurs J’ai perdu l’enfance, je ne pourrais la reconquĂ©rir que par la saintetĂ© » CI, t. II, p. 503. L’enfance est avant tout une confiance en l’avenir, une maniĂšre de vivre l’aujourd’hui sans s’inquiĂ©ter du lendemain ni se laisser appesantir par le passĂ©, sans se laisser arrĂȘter ou seulement ralentir par la peur. Or Bernanos est sujet, depuis l’enfance, Ă  de terribles crises d’angoisse. On sait qu’il tira un jour un coup de carabine sur le miroir qui le reflĂ©tait ; on se souvient moins, souvent, qu’il vĂ©cut la guerre des tranchĂ©es, ce petit espace de quelques lieues carrĂ©es, grouillant de moribonds » CI, t. I, p. 104, fut enterrĂ© vivant sous un obus durant la guerre et resta plusieurs minutes terribles sous l’avalanche de terre et de fer », suspendu entre vie et mort ; qu’en 1923 une perforation intestinale, aggravĂ©e d’un abcĂšs, d’une infection des reins, d’une cystite, le cloua le ventre entrouvert » prĂšs de deux mois sans antibiotiques, Ă©videmment ; que deux accidents de moto le laisseront infirme
 Choisir la vie », selon le prĂ©cepte biblique, n’est donc pas un vain mot pour lui. Est-il inconvenant de penser que la description si prĂ©gnante qu’il fit bien souvent du suicide 12 dans ses Ɠuvres romanesques ! dĂ©rive aussi de pensĂ©es qui l’assaillirent parfois, mĂȘme s’il les refusait aussitĂŽt ? Lorsqu’il Ă©crit Il est peu d’hommes qui, Ă  une heure de la vie, honteux de leur faiblesse ou de leurs vices, incapables de leur faire front, d’en surmonter l’humiliation rĂ©demptrice, n’aient Ă©tĂ© tentĂ©s de se glisser hors d’eux-mĂȘmes, Ă  pas de loup, ainsi que d’un mauvais lieu » Les enfants humiliĂ©s, EEC, t. I, p. 831, il ne parle pas que des autres, il sait le poids de l’ĂȘtre et ce qu’est la tentation du dĂ©sespoir » Sous le Soleil de Satan, titre de la PremiĂšre partie, chap. 1, OR, p. 116 sq.. Bernanos Ă©tait dans la vie un homme trĂšs gai il avoue fuir la compagnie de ses enfants pour travailler non parce que leur bruit le gĂȘne, mais parce qu’il a toujours envie d’aller jouer avec eux, et son rire Ă©tait contagieux ; il n’est pas question d’en faire un Ă©crivain dĂ©primĂ© qui cultiverait le noir et Ă©crirait pour se dĂ©fouler. Il Ă©tait tout au contraire un homme qui aimait passionnĂ©ment la vie et le doux Royaume de la Terre ». C’est pourquoi il pouvait parler d’ un dĂ©sespoir inflexible qui n’est peut-ĂȘtre que l’inflexible refus de dĂ©sespĂ©rer. Je viens d’écrire ce mot de dĂ©sespoir par dĂ©fi. Je sais parfaitement qu’il ne signifie plus rien pour moi. Autre chose est de souffrir l’agonie du dĂ©sespoir, autre chose le dĂ©sespoir lui-mĂȘme. 
 [L]’espĂ©rance est une victoire, et il n’y a pas de victoire sans risque. Celui qui espĂšre rĂ©ellement, qui se repose dans l’espĂ©rance, est un homme revenu de loin, de trĂšs loin, revenu sain et sauf d’une grande aventure spirituelle, oĂč il aurait dĂ» mille fois pĂ©rir. ... Celui qui, un soir de dĂ©sastre, piĂ©tinĂ© par les lĂąches, dĂ©sespĂ©rant de tout, brĂ»le sa derniĂšre cartouche en pleurant de rage, celui-lĂ  meurt, sans le savoir, en pleine effusion de l’espĂ©rance. ... Si j’ai les Ɠuvres de l’espĂ©rance, l’avenir le dira. L’avenir dira si chacun de mes livres n’est pas un dĂ©sespoir surmontĂ©. Le vieil homme ne rĂ©sistera pas toujours ; le vieux bĂątiment ne tiendra pas toujours la mer ; il suffit bien qu’il puisse se maintenir jusqu’à la fin debout Ă  la lame, et que celle qui le coulera soit aussi celle qui l’aura levĂ© le plus haut » Français, si vous saviez
, EEC, t. II, p. 1174. L’espĂ©rance, vertu de qui a traversĂ© l’épreuve, caractĂ©rise les personnages bernanosiens tout autant que de leur crĂ©ateur. Comme lui, ils savent que [p]our rencontrer l’espĂ©rance, il faut ĂȘtre allĂ© au delĂ  du dĂ©sespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. 
 L’espĂ©rance est une vertu, virtus, une dĂ©termination hĂ©roĂŻque de l’ñme. La plus haute forme de l’espĂ©rance, c’est le dĂ©sespoir surmontĂ© » La LibertĂ© pour quoi faire ?, EEC, t. II, p. 1262-1263. L’espĂ©rance est un risque Ă  courir », comme l’avenir lui-mĂȘme, [e]lle est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son Ăąme » La Liberté , p. 1315. Bernanos tenait ainsi particuliĂšrement au chapitre du Journal racontant la rencontre entre le lĂ©gionnaire et le curĂ© d’Ambricourt, oĂč celui-ci connaĂźt le risque bĂ©ni de la jeunesse et reçoit la rĂ©vĂ©lation de l’amitiĂ© Le chapitre que je viens d’écrire, je l’avais sur le cƓur, depuis des mois, presque depuis la premiĂšre ligne de mon livre ». Il prĂ©cise immĂ©diatement Ce n’est pas qu’il vaut mieux que les autres, mais de tous mes bouquins celui-ci est certainement le plus testamentaire. Pour que l’obscur sacrifice de mon hĂ©ros soit parfait, je veux qu’il ait aimĂ©, et compris, Ă  une minute de sa vie, ce que j’ai tant aimĂ© moi-mĂȘme. J’avais besoin d’un grand matin triomphal, et de la parole d’un soldat » CI, t. II, p. 120. Ses personnages connaissent aussi bien la vertu de l’espĂ©rance que ses difficultĂ©s. Si Chantal et l’abbĂ© Chevance, saints lumineux, vivent comme naturellement en elle, ils agonisent pourtant dans des tentations proches du dĂ©sespoir et ont besoin de la compassion d’autrui pour la surmonter. Un bref dialogue de La Joie OR, p. 675 en rend l’essentiel J’ai trop mĂ©prisĂ© la peur, avouait-il un jour, j’étais jeune, j’avais le sang chaud. Comment ! C’est vous qui parlez ainsi, s’était-elle Ă©criĂ©e, vous ? Est-ce que vous allez faire entrer la peur dans le paradis ? 
 Pas si vite ! Pas si vite ! En un sens, voyez-vous, la peur est tout de mĂȘme la fille de Dieu, rachetĂ©e la nuit du Vendredi saint. Elle n’est pas belle Ă  voir – non ! – tantĂŽt raillĂ©e, tantĂŽt maudite, renoncĂ©e par tous
 Et cependant, ne vous y trompez pas elle est au chevet de chaque agonie, elle intercĂšde pour l’homme. » L’espĂ©rance est pour Bernanos non pas le contraire de la peur, mais l’inverse du rĂȘve J’ai mis trente ans Ă  reconnaĂźtre que je n’avais rien, absolument rien. Ce qui pĂšse dans l’homme, c’est le rĂȘve
, affirme Chevance dans La Joie OR, p. 615. Elle est la vertu des forts, de ceux qui choisissent de renoncer aux illusions, aux mensonges sur autrui comme sur soi-mĂȘme. Ainsi l’abbĂ© Chevance reprend-il fermement, presque violemment, le menteur et le pĂ©cheur lorsqu’ils s’attaquent Ă  Dieu et Ă  eux-mĂȘmes c’est tout un Vous avez Ă©tĂ© cruelle exprĂšs, comprenez-vous ? C’est comme si vous aviez tuĂ© votre Ăąme, pour en finir, d’un seul coup » L’imposture, OR, p. 491. L’imposture, qui prĂ©cĂšde La Joie et en constitue le premier volet, prĂ©sente de maniĂšre poignante l’inverse de ces enfants » que sont les saints. Bernanos y critique la mĂ©diocritĂ© des gens d’Église pactisant avec l’esprit du monde et l’ambition, le dĂ©sir de gloire, le vide
 Lorsque l’abbĂ© CĂ©nabre, brillant intellectuel, Ă©crivain de renom, se tourne vers son enfance, il n’y voit que l’ambition de sortir d’un milieu qu’il mĂ©prise et avec lequel il dĂ©cide qu’il n’aura jamais rien en commun » OR, p. 460, un immense orgueil » et une volontĂ© qui ne pourra pas ĂȘtre pliĂ©e mais seulement brisĂ©e. Chacun de ses pas », Ă©crit le narrateur, avait Ă©tĂ© une rupture avec le passĂ© », chacun avait Ă©tĂ© aussi un progrĂšs dans le mensonge. Car [p]our mentir utilement, avec efficace et sĂ©curitĂ© plĂ©niĂšre, il faut connaĂźtre son mensonge et s’exercer Ă  l’aimer ». Ce mĂȘme orgueil qui le pousse Ă  refuser l’enfant qu’il aurait pu ĂȘtre, qu’il Ă©tait avant le choix du mensonge, en fait un prĂȘtre sans la foi », le pire des imposteurs. Pourtant, il cĂ©dera au À quoi bon ? », sinistre parole 
 au principe de tous les abandonnements » OR, p. 461. Il en arrive Ă  des gestes absurdes, que lui-mĂȘme ne s’explique pas, refuse la beautĂ© qui l’entoure et la science qui fut sa gloire ; car lorsque l’ñme est morte, plus rien ne peut vivifier l’ĂȘtre Monsieur Ouine, dont la curiositĂ© dĂ©moniaque, l’avide dĂ©sir de percer le secret des Ăąmes, a causĂ© le dĂ©sespoir et/ou la mort de plusieurs personnes, dĂ©couvre au moment de mourir non pas qu’il n’a rien, comme l’abbĂ© Chevance, mais qu’il n’est rien, qu’il est vide » [E]st-ce possible ? Je me vois maintenant jusqu’au fond, rien n’arrĂȘte ma vue, aucun obstacle. Il n’y a rien. Retenez ce mot rien ! » Mais l’ĂȘtre ne peut vivre ainsi, et Monsieur Ouine ajoute presque aussitĂŽt J’ai faim. 
 Je suis enragĂ© de faim, je crĂšve de faim. 
 On ne me remplira plus dĂ©sormais. 
 HĂ©las ! qu’eussĂ©-je partagĂ© ? Je dĂ©sirais, je m’enflais de dĂ©sir au lieu de rassasier ma faim, je ne m’incorporais nulle substance, ni bien ni mal, mon Ăąme n’est qu’une outre pleine de vent. 
 Je n’ai mĂȘme pas un remords Ă  lui jeter pour tromper sa faim 
. Au point oĂč je me trouve, il ne me faudrait pas moins de toute une vie pour rĂ©ussir Ă  former un remords. 
 Toute une vie, une longue vie, toute une enfance
 une nouvelle enfance. 
 Je ne puis dĂ©jĂ  plus rien donner Ă  personne, je le sais, je ne puis probablement plus rien recevoir non plus » Monsieur Ouine, OR, p. 1552-1555. Tant d’hommes naissent, vivent et meurent sans s’ĂȘtre une seule fois servis de leur Ăąme ». La fidĂ©litĂ© Ă  l’enfance est au contraire une fidĂ©litĂ© au don de soi et Ă  la capacitĂ© de tout recevoir sans jamais s’approprier le don reçu. C’est le miracle des mains vides » dont parle le petit curĂ© d’Ambricourt, qui permet de donner Ă  chacun ce dont il a besoin alors mĂȘme qu’on pense ne pas le possĂ©der pour soi. Il permet de faire face », selon l’expression favorite de Bernanos, Ă  la fois Ă  la monotonie du quotidien et Ă  l’extraordinaire d’évĂ©nements dĂ©routants, jusqu’au plus important de tous, la mort J’entends bien qu’un homme sĂ»r de lui-mĂȘme, de son courage, puisse dĂ©sirer faire de son agonie une chose parfaite, accomplie. Faute de mieux, la mienne sera ce qu’elle pourra, rien de plus. 
 Car l’agonie humaine est d’abord un acte d’amour. 
 Pourquoi m’inquiĂ©ter ? Pourquoi prĂ©voir ? Si j’ai peur, je dirai j’ai peur, sans honte. Que le premier regard du Seigneur, lorsque m’apparaĂźtra sa Sainte Face, soit donc un regard qui rassure ! » Journal d’un curĂ© de campagne, OR, p. 1256. Car la suave enfance monte la premiĂšre des profondeurs de toute agonie » Monsieur Ouine, OR, p. 1428. Se jetant Ă  corps perdu dans la vie, au contraire de tous ceux qui autour d’eux prĂ©fĂšrent les demi-mesures, les abdications discrĂštes, les renoncements silencieux, les enfants », les saints de l’Ɠuvre bernanosienne ne renoncent jamais, car il n’est d’autre mesure pour l’homme que de se donner sans mesure Ă  des valeurs qui dĂ©passent infiniment le champ de sa propre vie » Lettre aux Anglais, EEC, t. II, p. 58. L’épreuve les frappe comme tout un chacun, mais ils l’enveloppent en quelque sorte de la douceur de l’impuissance convaincus qu’ils ne peuvent rien par eux-mĂȘmes, ils s’en remettent Ă  Dieu et ne se prĂ©occupent pas d’ĂȘtre ou non des tĂ©moins, des modĂšles ou des objets de scandale la mort du curĂ© d’Ambricourt chez son ancien collĂšgue de sĂ©minaire, prĂȘtre dĂ©froquĂ©, malade vivant en concubinage avec une pauvre fille, son ancienne infirmiĂšre peut bien sembler dĂ©concertante aux yeux des bien-pensants, elle est le lieu oĂč le prĂȘtre accomplit pleinement sa vocation, oĂč il se rĂ©concilie » dĂ©finitivement avec lui-mĂȘme, avec cette pauvre dĂ©pouille » Journal d’un curĂ© de campagne, OR, p. 1258. Car Ce n’est pas l’épreuve qui dĂ©chire, c’est la rĂ©sistance qu’on y fait. Je me laisse arracher par Dieu ce qu’il voudrait que je lui donne. ... Certes, je n’ignore point que Dieu me veut tout entier, et j’ai toujours quelque chose Ă  lui dĂ©rober, je ruse avec lui risiblement. C’est comme si je voulais Ă©viter son regard, qu’il a si fermement posĂ© sur moi, pour toujours. Au premier signe de soumission, tout s’apaise. La douleur a retrouvĂ©, dedans, son Ă©quilibre » aoĂ»t 1918. En dĂ©finitive, nous sommes nous-mĂȘmes l’épreuve qu’il nous faut courir. Le curĂ© d’Ambricourt reconnaĂźt au moment de sa mort Il est plus facile que l’on croit de se haĂŻr. La grĂące est de s’oublier. Mais si tout orgueil Ă©tait mort en nous, la grĂące des grĂąces serait de s’aimer humblement soi-mĂȘme, comme n’importe lequel des membres souffrants de JĂ©sus-Christ » Journal, OR, p. 1258. Ces propos rejoignent ceux des Enfants humiliĂ©s, Ă©crits presque en mĂȘme temps La difficultĂ© n’est pas d’aimer son prochain comme soi-mĂȘme, c’est de s’aimer assez pour que la stricte observation du prĂ©cepte ne fasse pas tort au prochain » EEC, t. I, p. 827. Contre l’épreuve que nous sommes Ă  nous-mĂȘmes, il n’est d’autre remĂšde, pour Bernanos, que de s’en remettre Ă  Dieu de toute chose, en Ă©vitant Ă  tout prix le mĂ©pris, en ne comptant jamais que sur cette espĂšce de courage que Dieu dispense au jour le jour, et comme sou par sou » Dialogues, OR, p. 1652. Qu’importent alors les changements, les imprĂ©vus, les humiliations de toutes sortes, les choix crucifiants
 L’important est d’avancer, toujours. Les pages de Bernanos sur la beautĂ© de la route dans Monsieur Ouine en disent quelque chose Qui n’a pas vu la route Ă  l’aube, entre ses deux rangĂ©es d’arbres, toute fraĂźche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espĂ©rance » OR, p. 1409, pense Philippe. Et cette route le pousse Ă  s’interroger sur l’importance du jour prĂ©sent “Pourquoi pas demain ? Demain, il serait trop tard. L’occasion perdue ne se retrouvera pas. À vingt-quatre heures prĂšs, se dit-il avec ivresse, on perd sa vie.” Et certaine voix caressante jamais entendue, aussi terrible dans ce matin clair que l’image de la voluptĂ© sur un visage d’enfant, soupire indĂ©finiment “Perds-la ! perds-la !” Certaine phrase, lue quelque part il ne sait oĂč, hĂ©las ! va et vient dans sa mĂ©moire avec la rĂ©gularitĂ© d’un battant d’horloge. “Qui veut sauver son Ăąme la perdra
 qui veut sauver son Ăąme
 qui veut sauver
” Zut ! » Monsieur Ouine, OR, p. 1408-1409. Philippe renonce pourtant. Blanche de la Force, la petite sƓur Blanche de l’Agonie du Christ », qui rappelle Jeanne relapse et sainte », semble dans un premier temps assez semblable dĂ©sespĂ©rant de pouvoir surmonter sa peur, elle abandonne sa communautĂ© et fuit au chĂąteau de son pĂšre. Lorsque MĂšre Marie vient la chercher, lui rappelant le vƓu de martyre qu’elle a prononcĂ©, Blanche se rĂ©fugie dans sa peur et dans le mĂ©pris qu’elle inspire. Mais le malheur 
 n’est pas d’ĂȘtre mĂ©prisĂ©e, mais seulement de se mĂ©priser soi-mĂȘme », lui rappelle la religieuse, car cela incite Ă  toutes les dĂ©missions et ouvre la porte au dĂ©sespoir, qui ferme, lui, tout avenir. Blanche, comme Jeanne, reviendra sur le moment de lassitude, de peur, de faiblesse, qui lui fit renoncer un temps non seulement Ă  la parole donnĂ©e mais Ă  la vĂ©ritĂ© qu’elles entrevoyaient. La derniĂšre Ă  l’échafaud », elle reprendra la priĂšre des carmĂ©lites guillotinĂ©es et, s’offrant d’elle-mĂȘme au bourreau, portera leur priĂšre Ă  son terme. Elle assumera alors, sans trop savoir comment, le don de la fidĂ©litĂ© d’une autre. Car la fidĂ©litĂ© au don de l’enfance, au don tout court, est essentielle non seulement pour soi mais pour autrui. Il faut voir lĂ  une consĂ©quence de la Communion des saints, dogme essentiel pour Bernanos. De mĂȘme que nous pouvons prier les uns Ă  la place des autres » Dialogues des carmĂ©lites, OR, p. 1586, de mĂȘme [o]n ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou mĂȘme les uns Ă  la place des autres, qui sait ? » Dialogues, OR, p. 1613. La vie nous engage donc bien au delĂ  de ce que nous pourrions imaginer ou apprĂ©hender. C’est pourquoi il est essentiel, aux yeux de Bernanos, d’y faire tout son possible, dans le domaine qui est le nĂŽtre, Ă  la place oĂč Dieu nous a mis » d’autres, dont nous ne saurons peut-ĂȘtre jamais rien ici-bas, dĂ©pendent de notre fidĂ©litĂ©. Son engagement littĂ©raire, sa fidĂ©litĂ© Ă  sa vocation naissent de cette conviction. Qui ne dĂ©fend la libertĂ© de penser que pour soi-mĂȘme, en effet, est dĂ©jĂ  disposĂ© Ă  la trahir. Il ne s’agit pas de savoir si cette libertĂ© rend les hommes heureux, ou si mĂȘme elle les rend moraux. 
 Il me suffit qu’elle rende l’homme plus homme, plus digne de sa redoutable vocation d’homme, de sa vocation selon la nature, mais aussi de sa vocation surnaturelle » La France contre les robots, EEC, t. II, p. 989. Je ne me sens pas du tout la conscience du monde », explique Bernanos Ă  la fin des Enfants humiliĂ©s. Mais c’est assez dire que la petite part de vĂ©ritĂ© dont je dispose, je l’ai mise, ici, Ă  l’abri des menteurs. S’il ne dĂ©pendait que de moi, je voudrais l’enfouir encore plus profond, car c’est Ă  elle que je tiens 
. J’ai reçu ma part de vĂ©ritĂ© comme chacun de vous a reçu la sienne, et j’ai compris trĂšs tard que je n’y ajouterai rien, que mon seul espoir de la servir est seulement d’y conformer mon tĂ©moignage et ma vie. Peu de gens renient leur vĂ©ritĂ©, aucun peut-ĂȘtre
 ils se contentent de la tempĂ©rer, de l’affaiblir, de la diluer. “Ils mettent de l’eau dans leur vin”, comme cette expression populaire me paraĂźt juste, profonde ! Mais elle ne convient pas Ă  toutes les espĂšces de trahisons envers soi-mĂȘme. 
 Je comprends de plus en plus que je n’ajouterai rien Ă  la vĂ©ritĂ© dont j’ai le dĂ©pĂŽt, je ne pourrais m’en donner l’illusion. C’est moi-mĂȘme qui devrais me mettre Ă  sa mesure, car elle Ă©touffe en moi, je suis sa prison, et non pas son autel » EEC, t. I, p. 901-902. Son journal des derniĂšres annĂ©es, son agonie et sa mort À nous deux ! » lui lança-t-il au dernier moment tĂ©moignent de la fidĂ©litĂ© avec laquelle il chercha Ă  se rendre adĂ©quat Ă  cette vĂ©ritĂ©. Bibliographie Georges Bernanos, ƒuvres romanesques, PlĂ©iade, 1962, 1992 Essais et Ă©crits de combat, t. I, PlĂ©iade, 1971, 1988 t. II, PlĂ©iade, 1995 Correspondance inĂ©dite, t. I et II, Plon, 1971 t. III, Plon, 1983 Le CrĂ©puscule des vieux, Gallimard, NRF, 1956 Jean-Loup Bernanos, Georges Bernanos Ă  la merci des passants, Plon, 1986 Chaque Ă©poque a connu ses lanceurs d’alertes politiques ». L’intransigeant Georges Bernanos 1888-1948 fut de ceux-lĂ  dont les hauts faits de plume plongĂšrent dans les plaies de leur temps. ChrĂ©tien tourmentĂ© et vĂ©ritable Ă©crivain de combat, il croisa sans rĂ©pit le fer contre la bien-pensance bourgeoise, les ploutocraties dĂ©mocratiques » et les inconsĂ©quences de ses contemporains. On ne comprend absolument rien Ă  la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espĂšce de vie intĂ©rieure » Ă©crit Georges Bernanos dans son exil brĂ©silien. Il est alors l’ hĂŽte » du prĂ©sident Getulio Vargas 1882-1954, parfaite incarnation de l’homme fort » sud-amĂ©ricain qui autorise la mise en place des comitĂ©s de la France libre. Pendant ces heures les plus sombres de notre histoire », l’auteur de Sous le soleil de Satan 1926 et des Grands cimetiĂšres sous la lune 1938 entretenait l’esprit de RĂ©sistance en une vertigineuse interrogation prophĂ©tique sur l’ĂȘtre français, alors abĂźmĂ© dans les compromissions avec l’occupant. L’ancien disciple de Drumont passĂ© dans le camp des rĂ©publicains espagnols avait rĂ©pondu Ă  l’Appel du gĂ©nĂ©ral de Gaulle et quittĂ© un pays asservi, portĂ© par un inextinguible esprit de rĂ©volte, renouant, comme le rappelle François Angelier, avec un ancien et permanent dĂ©sir d’expatriation qui est un violent besoin de respirer au large, de refonder l’honneur de vivre libre sur une terre vierge ». Au-delĂ  de la barbarie nazie et de l’énigme du Mal, Bernanos ressentait la puissance dĂ©vorante d’une autre menace pesant sur l’espĂšce prĂ©sumĂ©e humaine, portĂ©e par un ennemi sans visage, aussi omniprĂ©sent qu’omnipotent » l’impĂ©rialisme technologique, le technofascisme Ă  l’oeuvre dans la mise Ă  mort industrielle de toutes les guerres modernes », celles que l’on dĂ©clare et celles dont la dĂ©vastation s’exerce insidieusement dans la parfaite Ă©conomie de toute annonce, en un sournois processus de dĂ©spiritualisation et de dĂ©possession, au moyen de diverses machines Ă  tuer l’esprit avant de broyer les corps. Lanceur d’alerte » avant la lettre et bien avant l’heure, le quĂȘteur d’absolu qui avait fait voeu de libertĂ© inconditionnelle mettait en garde contre cet asservissement machinique de l’humanitĂ© et contre l’espĂšce d’homme formatĂ© par une civilisation des machines » en roue libre La Civilisation des Machines est la civilisation de la quantitĂ© opposĂ©e Ă  celle de la qualitĂ©. Les imbĂ©ciles y dominent donc par le nombre, ils y sont le nombre ... Un monde dominĂ© par la Force est un monde abominable, mais le monde dominĂ© par le Nombre est ignoble ... Le Nombre crĂ©e une sociĂ©tĂ© Ă  son image, une sociĂ©tĂ© d’ĂȘtres non pas Ă©gaux, mais pareils... » La France contre les robots, ce pamphlet de brĂ»lante inquiĂ©tude parcouru d’espĂ©rance paraĂźt en 1946, alors que le vieux pays peine Ă  sa difficile reconstruction dĂ©mocratique. Le GĂ©nĂ©ral lui avait proposĂ© un ministĂšre, mais l’ombrageux polĂ©miste refuse honneurs , situations, portefeuilles et prĂ©bendes, prĂ©fĂ©rant l’inconfort d’une vocation – il refuse mĂȘme l’AcadĂ©mie française S’il ne me restait plus que deux fesses pour penser, alors seulement je pourrais m'asseoir Ă  l’AcadĂ©mie ». L’incorruptible doute mĂȘme de l’intransigeance du LibĂ©rateur de la France Si le GĂ©nĂ©ral avait Ă©tĂ© au bout de sa mission historique, il l’aurait relevĂ©e la France Ă  coups de trique, mais il n’a pas osĂ© prendre la trique, et d’ailleurs on ne la lui aurait pas laissĂ© prendre, on l’aurait accusĂ© de fascisme » Ă©crivait-il dans une lettre Ă  un proche. Sa confiance, il la garde pour le peuple français, ainsi qu’il l’exprime dans un article, La maladie de la dĂ©mocratie, paru dans le journal La Bataille Le peuple Ă©tait seulement Ă  mes yeux, pour la France, ce qu’est la France pour le reste des nations une derniĂšre rĂ©serve d’humanitĂ©, de substance humaine dans un monde dĂ©shumanisĂ© ». Lit-on encore Bernanos dans les chaumiĂšres, les pavillons et les palais de la RĂ©publique ? L’explorateur du Bien et du Mal Georges Bernanos naĂźt le 20 fĂ©vrier 1888 Ă  Paris, au foyer d’Emile 1854-1927, tapissier dĂ©corateur d’origine espagnole et lorraine, et de ClĂ©mence Moreau 1855-1930. Il grandit dans la foi catholique de ses parents et leurs convictions monarchistes. Georges Ă©tudie le droit Ă  l’Institut catholique de Paris, lit passionnĂ©ment Balzac 1799-1850, le pamphlĂ©taire antisĂ©mite Edouard Drumont 1844-1917 ainsi que les catholiques Ernest Hello 1828-1885 et LĂ©on Bloy 1846-1917 tout en s’activant dans les phalanges juvĂ©niles de Charles Maurras 1868-1952, la FĂ©dĂ©ration des Ă©tudiants d’Action française. Il lui arrive d’apporter des contradictions musclĂ©es Ă  des orateurs anarchistes ou rĂ©publicains - ce qui lui vaut en mars 1909 une dĂ©tention de dix jours Ă  la prison de la SantĂ© ainsi que l’opportunitĂ© de rĂ©diger son premier article. En octobre 1913, LĂ©on Daudet 1867-1942 lui offre la direction d’un hebdomadaire sommeillant, L’Avant-Garde de Normandie. Ainsi, il entre dans le cercle des dames royalistes et fait la connaissance d’une descendante de Jeanne d’Arc, Jeanne Talbert d’Arc 1893-1960, qu’il Ă©pouse en 1917. Pendant la Grande Guerre, il est agent de liaison cycliste » dans une brigade de spahis avant de rejoindre l’unitĂ© de cavalerie des 6e dragons et de se retrouver enterrĂ©, comme mitrailleur, par l’explosion d’un obus. RelevĂ© de son inhumation-Ă©clair », il est dĂ©signĂ© l’annĂ©e suivante pour figurer dans le peloton qui doit fusiller la prĂ©sumĂ©e espionne Mata Hari dans les fossĂ©s du chĂąteau de Vincennes – et se soustrait Ă  cette mission » en soudoyant un autre dragon... DĂ©goĂ»tĂ© par la France de l’aprĂšs-guerre, celle du dĂ©filĂ© de la Victoire » et des marchands de patriotisme tricolore, il fait vivre sa famille tant bien que mal comme inspecteur d’assurances Ă  la compagnie La Nationale... En avril 1923, il est opĂ©rĂ© d’urgence d’une perforation intestinale – il cumule ennuis de santĂ© et accidents de moto avec ses blessures de guerre. Il publie son premier roman, Sous le soleil de Satan, inspirĂ© par la figure du CurĂ© d’Ars, chez Plon, dans la collection Le Roseau d’or » crĂ©ee par Henri Massis et Jacques Maritain qui se donne pour mission de grouper les oeuvres les plus originales et les plus significatives des Ă©crivains qui travaillent au redressement spirituel de notre Ă©poque ». Une entrĂ©e en littĂ©rature saluĂ©e comme un coup de tonnerre » - au succĂšs critique s’ajoute le succĂšs commercial, suivi du Prix Femina pour La Joie 1929. Ses romans, peuplĂ©s de prĂȘtres et de suicidĂ©s, racontent le cheminement tortueux d’ñmes en proie Ă  la tentation du nĂ©ant, toujours Ă  un souffle du salut ou de la damnation... Les Bernanos dĂ©barquent Ă  Majorque Ă  la fin de l’étĂ© 1934, dans une Espagne rĂ©publicaine en pleine sĂ©cession. Venu prendre du repos et Ă©crire un roman » Le Journal d’un curĂ© de campagne, Prix du roman de l’AcadĂ©mie française en 1936, le catholique monarchiste entre en amitiĂ© avec la marquise Juliette de Zayas 1900-1977, impressionnĂ©e par la lecture de Sous le soleil de Satan. Son mari, le marquis Alfonso 1896-1970, militaire hors cadre en raison de ses dĂ©saccords avec la RĂ©publique » est responsable local de la Phalange. Cette amitiĂ© joue un rĂŽle dĂ©terminant dans la vision, le rĂŽle et l’engagement des Bernanos sur l’üle »... Bernanos et les siens se retrouvent en pleine zone insurrectionnelle lors du dĂ©clenchement de la guerre civile – son fils Yves 1919-1958 est membre de la Phalange. Mais les exactions franquistes dont les Ă©purations prĂ©ventives »... comme le comportement de l’Eglise espagnole le rĂ©vulsent. Le gĂ©nĂ©ral Franco 1892-1975 met sa tĂȘte Ă  prix et la famille quitte le guĂȘpier balĂ©are fin mars 1937. Dans Les Grands cimetiĂšres sous la lune, un pamphlet qu’il qualifie de tĂ©moignage d’un homme libre », il Ă©crit Je suis restĂ© Ă  Majorque aussi longtemps que j’ai pu, parce j’y regardais en face les ennemis de mon pays. Cet humble tĂ©moignage avait son prix, puisque n’ayant nulle attache avec les rouges de lĂ -bas ou d’ailleurs, connu par tous comme catholique et royaliste, j’affirmais si peu que je vaille, une France Ă©ternelle... » Depuis sa demeure brĂ©silienne de Barbacena, sise au creux de la colline Cruz des almas la Croix-des-Ames », l’ancien Camelot du roi soutient cette France libre et rĂȘvĂ©e par son talent de journaliste polĂ©miste pendant que ses fils Yves et Michel 1923-1954 rejoignent le GĂ©nĂ©ral Ă  Londres. En fĂ©vrier 1942, il reçoit un autre exilĂ© de marque, l’écrivain StĂ©fan Zweig 1881-1942 dont il apprend le suicide dans sa villa de PĂ©tropolis quatre jours aprĂšs –il aurait voulu le garder quelques jours pour rĂ©diger un appel Ă  la conscience universelle contre la barbarie nazie Il est train de mourir » dit-il alors Ă  un tĂ©moin... L’amateur averti de sports mĂ©caniques consacre les derniĂšres annĂ©es de sa vie Ă  sa grande prĂ©occupation la dĂ©spiritualisation de l’homme coĂŻncidant avec l’envahissement de la civilisation par les machines et l’état technique divinisĂ© ». Pour lui, la science a fourni les machines, la spĂ©culation les a prostituĂ©s et elle en demande toujours plus Ă  la science pour les besoins d’une entreprise qu’elle veut Ă©tendre Ă  toute la terre ». Sa vision de l’avenir ? ObĂ©issance et irresponsabilitĂ©, voilĂ  les deux mots magiques qui ouvriront demain le Paradis de la Civilisation des machines ». La guerre contre l’humanitĂ© ne s’arrĂȘte pas avec le silence des armes, ainsi que le rappelle François Angelier Cette derniĂšre a changĂ© de formes et d’enjeu dĂ©laissant le canon, elle emprunte les voies sournoises de la propagande ou le masque souriant du confort technologique dĂ©laissant les prĂ©textes idĂ©ologiques, elle devient l’offensive incessante de l’invasion technologique, anonyme, planĂ©taire et polymorphe ». Le 5 juillet 1948 Ă  Neuilly-sur-Seine, Bernanos rend Ă  la terre son corps de souffrance », Ă  l’image du curĂ© d’Ars, unissant dans ses derniers mots Jeanne, Jeanne, Ă  nous deux » son Ă©pouse et sa principale figure de dĂ©votion ». Dans le Journal d’un curĂ© de campagne 1936, il dĂ©crivait l’agonie d’un prĂȘtre rongĂ© par un cancer de l’estomac qui s’éteint en murmurant Qu’est-ce que cela fait ? Tout est grĂące ». Et relire Bernanos, ce serait quoi ? Une grĂące Ă  s’offrir comme un baume sur une plaie purulente ou une brĂ»lure insoutenable ? Producteur de l’émission Mauvais Genres » et collaborateur du Monde des Livres, François Angelier fait partager un peu de cette grĂące-lĂ  en faisant revivre ce franc-tireur d’une foi ardente mise en actes alors que l'espĂšce prĂ©sumĂ©e humaine consomme sa "dĂ©matĂ©rialisation" en "flux" sans finalitĂ©. . François Angelier, Georges Bernanos – La colĂšre et la grĂące, Seuil, 640 p., 25 € Tout semble avoir Ă©tĂ© Ă©crit sur Georges Bernanos. Pourtant, chaque annĂ©e, de nombreux livres, revues et articles paraissent autour de lui. L’Esprit europĂ©en contre le nouveau monde totalitaire et Nos amis les saints, de Bernanos lui-mĂȘme, viennent d’ĂȘtre rééditĂ©s. Ces deux derniers ouvrages revĂȘtent une importance spirituelle et intellectuelle majeure pour engager le combat contre le monde moderne avec les armes de la foi et de l’espĂ©rance chrĂ©tienne. Si l’auteur des Grands CimetiĂšres se battit avant tout contre les dictatures et les lĂąchetĂ©s de la guerre et de l’avant-guerre, il lui apparut ensuite un ennemi plus vicieux et sans doute plus formidable que le communisme et le nazisme rĂ©unis. Cet ennemi, nous baignons en lui si nous ne l’ignorons ; c’est le vieil appĂ©tit de lucre, incarnĂ© par le capitalisme vainqueur dans lequel notre monde malade se trouve enkystĂ©, contre lequel Bernanos engagea un nouveau combat » Ă©crit d’une maniĂšre dĂ©cisive BenoĂźt Castillon du Perron dans la prĂ©face Ă  la réédition de la confĂ©rence que donna Georges Bernanos aux Rencontres internationales de GenĂšve en 1946 sur L’Esprit europĂ©en. C’est donc au sortir de la guerre que l’écrivain français s’adresse Ă  un public heureux d’avoir retrouvĂ© sa libertĂ© – mais la libertĂ©, pour quoi faire ? » interrogeait Bernanos alors – aprĂšs cinq ans d’Occupation et une annĂ©e d’Épuration qu’il ne connut pas vraiment, au moins pour la premiĂšre, puisque rĂ©sidant Ă  ce moment- lĂ  en AmĂ©rique latine. Toujours intransigeant dans sa quĂȘte de vĂ©ritĂ©s, Bernanos n’épargne pas le nouveau rĂ©gime de la LibĂ©ration qui est le plus abject qu’est connu la France – je dis une France politiquement libre, car le rĂ©gime de Vichy peut du moins arguer, pour sa dĂ©fense, qu’il Ă©tait celui d’une France occupĂ©e ». La France contre les robots Pour Bernanos, le communisme et le nazisme demeurent des excroissances d’une modernitĂ© totalitaire que le capitalisme industriel – parce que plus insidieux – rend plus efficient encore dans la vie quotidienne des Français. Il dĂ©nonce alors concomitamment le rĂšgne de la technique, de la vitesse, de la machinerie et des robots ». D’ailleurs, un an aprĂšs, il publie l’un de ses maĂźtres ouvrages prophĂ©tiques, La France contre les robots 1947. Mais revenons Ă  ces Rencontres internationales de GenĂšve de l’annĂ©e 1946. Bernanos y fustige l’automatisation dĂ©shumanisante de la modernitĂ© technicienne La mĂ©canisation du monde, on pourrait dire sa totalisation, c’est la mĂȘme chose, rĂ©pond Ă  un vƓu de l’homme moderne, un vƓu secret, inavouable, un vƓu de dĂ©mission, de renoncement. Les machines se sont multipliĂ©es dans le monde Ă  proportion que l’homme se renonçait lui-mĂȘme, et il s’est comme renoncĂ© en elles. L’histoire dira, tĂŽt ou tard, s’il reste encore un ĂȘtre pensant pour Ă©crire l’histoire, que la machinerie s’est faite homme, par une espĂšce d’inversion dĂ©moniaque du mystĂšre de l’Incarnation ». La France est certes envahie par les robots, mais ne serait-ce pas l’homme qui est devenu robot lui-mĂȘme justement ? Le monde moderne ne se contente pas de produire des mĂ©caniques, il devient mĂ©canique lui-mĂȘme » assure effectivement Bernanos. Et d’ajouter que le tout-MarchĂ© et le tout-État s’imbriquent l’un dans l’autre Le capitalisme et le totalitarisme ne sont que les deux aspects de la primautĂ© de l’économique. L’État totalitaire ne s’oppose pas Ă  l’argent, il se substitue Ă  lui. En confisquant Ă  son profit toute la puissance de l’argent, il met la main du mĂȘme coup sur toutes les organisations de la corruption, non pour les supprimer, mais pour s’en servir ». Ancienne France et Vieille Europe Si cette ConfĂ©rence internationale est placĂ©e sous le signe de l’Europe, c’est parce qu’elle voit se succĂ©der au micro des Ă©crivains europĂ©ens qui croient Ă  la nĂ©cessitĂ© de penser l’avenir dans une perspective nationale, continentale, mais aussi mondiale, tant l’interdĂ©pendance entre les trois sphĂšres s’avĂšrent Ă©videntes dans une planĂšte qui risque de s’unifier en dĂ©truisant la singularitĂ© de chacun des membres appartenant Ă  diffĂ©rentes communautĂ©s reliĂ©es entre elles. Homme de l’ancienne France, Bernanos Ă©trille alors l’instauration du systĂšme totalitaire de l’argent au sein de la vieille Europe, en proclamant Nous refusons de rendre l’Europe. Et d’ailleurs, on ne nous demande pas de la rendre, on nous demande de la liquider. Nous refusons de la liquider. Le temps de liquider l’Europe n’est pas venu, s’il doit jamais venir. Il est vrai que le dĂ©clin de l’Europe ne date pas d’hier, nous le savons. Nous savons aussi que le dĂ©clin de l’Europe a marquĂ© le dĂ©clin de la civilisation universelle. L’Europe a dĂ©clinĂ© dans le moment oĂč elle a doutĂ© d’elle-mĂȘme, de sa vocation et de son droit. On ne saurait nier que ce moment ait Ă©tĂ© aussi celui de l’avĂšnement du capitalisme totalitaire ». L’espĂ©rance est un risque Ă  courir » Le rĂ©alisme bernanosien paraĂźtra pessimiste et incapacitant Ă  ceux qui optimistes et/ou cyniques s’arrangent d’un monde moderne oĂč leurs intĂ©rĂȘts ne sont pas menacĂ©s. Pourtant, la vĂ©ritĂ©, la luciditĂ© doivent l’emporter sur la crĂ©dulitĂ© et la veulerie, pour la plus grande gloire de Dieu fait homme et des hommes conçus Ă  la ressemblance de Dieu. Le Christ est toujours vivant dans le cƓur de ceux qui sont prĂȘts Ă  l’imiter dans l’épreuve du feu et les fins ultimes. Et Bernanos d’écrire implacablement L’espoir, comme la foi, est une grĂące de Dieu. Il suffit que nous soyons prĂȘts Ă  la recevoir. Et pour ĂȘtre prĂȘts Ă  espĂ©rer en ce qui ne trompe pas, il faut d’abord dĂ©sespĂ©rer de ce qui trompe. Je vous invite Ă  dĂ©sespĂ©rer de vos illusions, je mets ainsi le dĂ©sespoir au service de l’espoir ». En somme, l’auteur de La France contre les robots nous enjoint de nous affranchir du totalitarisme technico-capitaliste, en se livrant tout entier Ă  la divine Providence de Dieu que doit accompagner notre volontĂ© ! L’espĂ©rance est un risque Ă  courir. L’espĂ©rance est un risque Ă  courir, c’est mĂȘme le risque des risques. L’espĂ©rance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son Ăąme » avait dĂ©jĂ  pu clamer l’écrivain français lors d’une confĂ©rence Ă  Rio en 1944. Dans une des derniĂšres confĂ©rences bernanosiennes, qui fut donnĂ©e au LycĂ©e Carnot de Tunis au profit des Petites SƓurs de Charles de Foucauld, le 4 avril 1947, Georges Bernanos met toujours en garde contre la volontĂ© de puissance et le sur-humanisme promĂ©thĂ©en qui se trouvent aux antipodes de l’humilitĂ© chrĂ©tienne et de la simple humanitĂ© dont les saints tĂ©moignent par leur vie et leur Ɠuvre La maison de Dieu est une maison d’hommes, Ă©crit Bernanos, et non de surhommes. Les ChrĂ©tiens ne sont pas des surhommes. Les saints pas davantage, ou moins encore, puisqu’ils sont les plus humains des humains
 ». Et d’ajouter de façon troublante, mais en parfaite adĂ©quation avec les saintes Écritures, avec la plus grande charitĂ© Les saints ne sont pas des hĂ©ros, Ă  la maniĂšre des hĂ©ros de Plutarque. Un hĂ©ros nous donne l’illusion de dĂ©passer l’humanitĂ©, le saint ne la dĂ©passe pas, il l’assume, il s’efforce d’approcher le plus prĂšs possible, comprenez-vous la diffĂ©rence ? Il s’efforce d’approcher le plus prĂšs possible de son modĂšle JĂ©sus-Christ, c’est-Ă -dire Celui qui a Ă©tĂ© parfaitement homme, avec une simplicitĂ© parfaite, au point, prĂ©cisĂ©ment, de dĂ©concerter le hĂ©ros en rassurant les autres, car le Christ n’est pas mort seulement pour les hĂ©ros, il est mort aussi pour les lĂąches ». Saint et sage Bernanos oppose, d’une certaine façon, la figure du saint Ă  celle du sage, trop souvent confondus, lorsque le second ne prend pas le pas sur le premier comme pour souligner que la rĂ©alisation spirituelle se construit afin d’atteindre l’équilibre existentiel voulu. Au contraire un saint, affirme Bernanos, ne vit pas du revenu de ses revenus, ni mĂȘme seulement de ses revenus, il vit sur son capital, il engage totalement son Ăąme. C’est d’ailleurs en quoi il diffĂšre du sage qui sĂ©crĂšte sa sagesse Ă  la maniĂšre d’un escargot sa coquille, pour y trouver un abri ». Dans un sublime esprit d’enfance qui renvoie Ă  l’innocence, Georges Bernanos nous livre un grand signe d’espĂ©rance – dans un monde dĂ©chu par le pĂ©chĂ© originel et ses consĂ©quences dĂ©lĂ©tĂšres – puisque chaque homme peut se racheter en se confessant et en quĂȘtant la saintetĂ© transfiguratrice de l’Être qui s’obtient par l’Amour de l’autre et du Tout autre C’est la SaintetĂ©, ce sont les saints qui maintiennent cette vie intĂ©rieure sans laquelle l’humanitĂ© se dĂ©gradera jusqu’à pĂ©rir. C’est dans sa propre vie intĂ©rieure en effet que l’homme trouve les ressources nĂ©cessaires pour Ă©chapper Ă  la barbarie, ou Ă  un danger pire que la barbarie, la servitude bestiale de la fourmiliĂšre totalitaire. Oh ! Sans doute, on pourrait croire que ce n’est plus l’heure des saints, que l’heure des saints est passĂ©e. Mais, comme je l’écrivais jadis, l’heure des saints vient toujours ». L’esprit europĂ©en contre le nouveau monde totalitaire, ArcadĂšs Ambo, 2022, 66 p., 11 €. Nos amis les saints, prĂ©cĂ©dĂ© de la PrĂ©face des Grands CimetiĂšres sous la lune, ArcadĂšs Ambo, 2022, 64 p., 6,50 €.

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